Y a qu’en France qu’on voit ça !
On n’aurait pas prêté a priori à la personne qui vient de s’exprimer ainsi une connaissance exhaustive des manières de pratiquer dans l’ensemble de la planète, mais le verdict est tombé sans appel : « Y a qu’en France qu’on voit ça ! »
Le pire, c’est qu’une docilité coupable vous encourage presque à approuver cette déclaration furibarde. Au dernier moment, un vieux reste d’honnêteté intellectuelle retient au bord de vos lèvres l’adhésion souhaitée. Tout compte fait, vous n’êtes pas absolument certain que ça se passe vraiment mieux – en matière de paperasse et d’administration : c’est de cela qu’il s’agit en général – au fin fond de la Russie ou de la Patagonie septentrionale. Mais le furieux passe outre, et reprend une partie de sa phrase, avec une autorité plus appuyée et un hochement de tête apitoyé, comme si l’autoconviction rendait la thèse irréfutable :
— Y a qu’en France !
Le propos traduit moins la révolte qu’une résignation longtemps contenue qui lâche enfin la bonde. On n’y changera rien, mais ça soulage de le dire. Le plus étonnant, c’est que l’on croit déceler, sous l’apparence antipatriotique du propos, une satisfaction secrète d’avoir affaire à une tare spécifique, une opposition obtuse mais bien-de-chez-soi. D’ailleurs, à bien y regarder, peu d’autochtones vous semblent aussi français que celui qui vient de jeter ainsi Panathème. N’est-ce pas même un aveu de franchouillardise délibéré, cette façon de critiquer une certaine idée que se font les Français de la malveillante entité qui les dirige ? Il ne s’agit pas des Français, pas même de la France, mais d’« en France ». Il est question de cette contrée abstraite où un pouvoir lointain délègue au laxisme de ses satellites la possibilité légale d’enquiquiner les gens.
Parfois, un je-sais-tout intervient dans le débat, qu’il écrase de sa sérénité clairvoyante de voyageur mondialiste. « Ne croyez pas ça ! C’est partout pareil. » On n’aime pas ça. On lui en veut, et l’on se sent pris d’une subite sympathie pour les atrabilaires. C’est tellement mieux, s’il n’y a qu’en France qu’on voit ça !